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Sandy palace : l’incroyable mais réaliste dégringolade d’une adolescente trop sage

"Sandy Palace" retrace le parcours de Sandrine, une adolescente de 16 ans, depuis la privilégiée vallée de Chevreuse aux trottoirs du Vancouver Downtown Eastside, le quartier le plus miséreux du Canada. Entre les deux, un gouffre que Sandrine va franchir brutalement et involontairement. L’élément déclencheur : la trahison de sa mère (trop) idolâtrée et la peur du futur que provoque cette révélation. Une seule solution : la fuite. Mais la petite fugue devenue grand voyage va bien vite tourner au cauchemar.

 

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"Sandy Palace" explore les thèmes chers à l’auteur : "l’instant où tout bascule", le problème du choix et du destin, l’irrémédiable enchaînement du pire. La première perfidie n’est pas celle que l’on croit et, comme tout au long du roman, il décrit et décortique les effets imprévisibles d’un évènement anodin. Tout commence avec la victoire historique des Bleus en juillet 98. Il y a la fête, la flûte de champagne bue tard en soirée, le réveil difficile la tête dans du coton, le stage d’équitation qui commence mal et le retour inopiné à la maison, la discussion téléphonique interceptée au coin d’un couloir et soudain la révélation. Le choc. L’impression d’être passée à travers un mur de briques (…J’en avais un comme ça chez moi. Enfin, sans le savoir. Il est apparu brutalement un jour, en travers de mon chemin et je suis passée à travers…). Et puis le simulacre de fugue, d’abord appel au secours puis petite vengeance qui, par dépit, devient réel envol pour une incroyable et dramatique aventure.

 

Le thème de l’adolescent(e) qui fugue et tombe dans la drogue n’est certes pas nouveau. Les plus belles pages produites sur ce sujet sont souvent issues de documents écrits par les protagonistes (la série des "Moi Christiane F., …" de Christiane Felscherinow), "Dans ma peau – Mémoires d’une prostituée" (Kate Holden), ou rédigés sous forme de journal intime souvent factice mais néanmoins plausible ("L’herbe bleue" de Béatrice Sparks). Dans la plupart des cas, le mal prend racines dans une enfance toxique ou bouleversée ("Le soleil au bout de la nuit" de Nicole Castioni ou "Junk" de Melvin Burgess), un deuil ou une séparation ("Un endroit où se cacher" de Joyce Carol Oats), la mauvaise influence d’un parent, d’un ami ou d’un groupe, voire le simple mal être ambiant ("Bleu presque transparent" de Ryû Murakami). Rares cependant sont les récits dont le héros est une jeune fille sage et sans problèmes mais trop naïve et trop exigeante.

 

Dans "Sandy Palace", le suspens repose moins sur les péripéties, souvent prévisibles parce qu’implacablement logiques et inévitables, que sur l’enchainement machiavélique des circonstances qui mènent d’une simple histoire familiale à une tragédie personnelle à la résonnance très médiatique. L’autre originalité du roman découle de l’utilisation de deux évènements tout à fait réels, la coupe du monde de football en 1998, en ouverture du roman, et l’affaire Pickton qui secoua la province de Colombie Britannique et le Canada tout entier au début des années 2000 pour conclure cette histoire déchirante. Le premier sert juste de déclencheur tandis que le second recoupe l’intrigue, justifiant le titre de l’ouvrage, conférant une authenticité certaine à cette histoire rocambolesque mais néanmoins en partie réelle. En préambule, l’auteur annonce très clairement la thématique explorée au-delà de l’histoire, inspirée par le parallèle établi entre un incident (personnel) réel qu’(il) raconte parfois avec une pointe de culpabilité dans la voix et une désagréable sensation dans le ventre, et l’histoire tragique de Sandrine. Le résultat : une histoire bouleversante, attachante voire même addictive.

L’effet de contraste et d’opposition, largement exploité tout au long du roman, saisit le lecteur : discussion insouciante de Sandrine et Cécile alors même que commence la finale du Mundial, profond désarroi de Sandrine en totale dissonance avec le climat estival et festif, coup de tête excessif qui transforme une histoire de famille et affaire d’état et un simulacre de fugue en une fuite éperdue, contraste incroyable entre la situation privilégiée de Sandrine en France et sa destinée outre-Atlantique… Les personnages principaux, complexes et ambivalents, se révèlent également sous deux personnalités bien différentes selon les circonstances : Sandrine sage/Sandy rebelle,  Marion fragile/Skipper impitoyable, Jordan étudiant candide/ marginal pervers, Sarah amie solide/ droguée influençable, Lucy compagne protectrice/partenaire égoïste.

 

En opposition totale avec le ton utilisé dans la suite de l’histoire, au point que l’on pourrait s’imaginer avoir ouvert une romance pour ado, le premier chapitre nous délivre déjà une avalanche d’informations : Sandrine l’inquiète, digne de confiance, très complice avec cette grande sœur qui lui ressemble physiquement mais paraît pourtant moins mature, mais aussi Sandrine :’adoratrice de l’icône matriarcale qui va la décevoir malgré leur complicité et leur adoration mutuelle. Mais le récit prend rapidement un ton plus grave, volontairement perturbant. Et si sombre n’est pas désespéré, le récit très noir met bien en exergue l’acharnement du destin, la petite flamme de l’espoir toujours renaissante et inlassablement soufflée par la malchance (ou la chance trop insolente). Sans verser dans le pathos, l’auteur explore minutieusement les mécanismes intimes qui conduisent une adolescente en apparences raisonnable mais encore malgré tout immature, à s’embarquer pour un voyage sans retour. Rien, dans le traitement ni le style, n’épargne le lecteur : le quotidien sordide, la réalité crue et sans concessions, la complexité inextricables des sentiments, toile d’araignée dans laquelle se débat l’héroïne. On attendra en vain que l’auteur fasse preuve de clémence dans ce récit glaçant mais profondément humain.

 

Le lecteur sortira peut-être brisé de cette découverte passionnante mais éprouvante, et sans nul doute scandalisé par les informations réelles livrées en  épilogue et par les réalités de l’affaire Pickton que dénonce l’auteur. Et l’on portera immanquablement le deuil de Sandrine, la jeune héroïne devenue au fil des pages amie, fille ou petite sœur.

 

QUELQUES LIGNES EXTRAITES DE "SANDY PALACE" :

 

Dans la file d’attente, au milieu des vacanciers en partance, tassée entre les piles de bagages qui débordaient des chariots, Sandrine s’accrocha à la certitude que sa supercherie ne passerait pas le comptoir d’enregistrement, que l’hôtesse détecterait la fugueuse dans cette fille au regard perdu tenant mollement un unique petit sac au bout de son bras. Pourtant la femme ne s’étonna guère qu’elle n’enregistrât aucun bagage en soute et lui remit sans sourciller une carte d’embarquement et un bon pour un repas gratuit dans un restaurant de CDG I, pour s’excuser du retard, dit-elle. Vaguement nauséeuse, Sandrine ne profita pas du déjeuner, préférant scruter le flux des arrivants et guetter l’appel de son nom jusqu’à l’heure du départ. Elle souhaitait bien plus qu’elle ne craignait l’irruption des policiers alertés, lancés à sa poursuite. Mais il n’y avait personne pour la saisir ni même la recueillir. Juste une main qui lui avait tendu un billet par-dessus un comptoir. Car soudain, cette fuite ubuesque prenait une réalité : le petit rectangle en carton vernissé, le sésame décoré de son bordereau magnétique. Sandrine commença d’avoir peur, vraiment, comme un kayakiste embarqué sur un rapide à la puissance sous-estimée, entrainé par le courant, incapable de s’arracher au cours des événements initiés, provoqués, à l’échéance improbable et redoutée. Elle aurait voulu tout arrêter, lever le pouce en signe de renoncement, se retrouver dans son lit, les farces les plus courtes sont les meilleures, Cécile tu es furieuse, je comprends, désolée, mais tu ne sais pas tout...

Mais où était Cécile ? Retournant sa chambre, lancée au domicile de Célia à la recherche de cette sœur traîtresse, déjà en route pour Roissy ou bien au commissariat de police ? Sandrine se sentit soudain honteuse, plus coupable que cette mère qui les délaissait pour un autre et qu’elle ne parvenait pas à haïr tout à fait. Elle, Sandrine, jouait sciemment avec le bonheur des autres, pour faire mal. Qu’avait-elle donc fait là ?

Quand elle se présenta au contrôle de sécurité, Sandrine comprit que, malgré ses cheveux plus longs et la légère différence de stature, elle ferait illusion et que le policier n’arrêterait pas sa course. Elle ne cherchait pas à passer inaperçue, ne tentait pas de se dérober aux regards inquisiteurs des fonctionnaires. La meilleure façon de se cacher était de se montrer. Soudain, elle souhaita réussir, comme pour se punir d’être allée trop loin. Point de non-retour. Elle n’avait plus envie que Cécile déboule, la dénonce, qu’on l’attrape, qu’on la livre à ses parents, encadrée par deux policiers de l’air et des frontières. Ce voyage n’était rien d’autre que le prolongement de ce geste, quand elle s’était emparée des billets et du passeport. Tout s’était décidé avant, alors qu’elle se tenait sur le seuil de la chambre. Le reste suivait la logique des cartes de géographie. La vraie frontière, elle l’avait franchie à la maison.

 

 

© Lignes Imaginaires 2017/C. Dugave 2009



18/09/2017
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